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20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 08:39

 

 

Hubertine Auclert en 1910

                                                      Hubertine Auclert, en 1910.  

 

                                   PLACE  A  ELLES !
                            L’égalité , c’est maintenant .

 

 

Quelle acuité prémonitoire dans cette apostrophe d' Hubertine Auclert, lors du fameux Premier Congrès International pour les droits des femmes organisé conjointement par Maria Deraismes et Léon Richer à Paris , du 29 juillet au 9 août 1878 :

« Mesdames, il faut bien nous le dire, l'arme du vote sera pour nous, ce qu'elle est pour l'homme, le seul moyen d'obtenir les réformes que nous désirons.

Pendant que nous serons exclues de la vie civique, les hommes songeront à leurs intérêts bien plutôt qu'aux nôtres ! »    

 

Dans la réalité des faits, Hubertine vit le discours, qu'elle avait préparé en vue de la conférence, purement et simplement écarté, car jugé trop subversif.

Qu'à cela ne tienne, elle le fit paraître plus tard sous le titre « Le droit politique des femmes, question interdite au Congrès des femmes de 1878 ».

Le ton en est résolument incisif et virulent : « Vous riez beaucoup messieurs les libre-penseurs, vous riez beaucoup du pape infaillible; mais dans la vie présente, vous tous, vous êtes des papes infaillibles. Vous nous obligez, nous, la moitié de l'humanité, et cela, sous peine de condamnation, à nous soumettre sans examen, sans discussion aux lois que  vous nous faites. »

On comprend mieux,  du coup, sa lutte acharnée durant toute sa vie ( 10 avril 1848 à Saint-Priest en Murat,  4 août 1914 à Paris ),  pour  le droit de vote des femmes  qu'elle affirme être « la clef de voûte qui leur donnera tous les autres droits ».  

 

Néanmoins, sa divergence d'opinion radicale à l'occasion de cette prime manifestation, avec ses organisateurs, pour qui à l'inverse, la conquête de l'égalité politique est subordonnée à celle de l'égalité civile et sociale, la conduisit à se séparer du groupe précurseur, auquel elle avait longtemps et tant contribué, comme secrétaire du journal* de Léon Richer ( *que ce dernier avait fondé  avec Maria Deraismes le 10 avril 1869, soit à peine deux ans avant la Commune ; il s’intitule alors Le Droit des femmes, et est vite interrompu par la guerre ; mais juste après, le 24 septembre 1871, il reparaît sous le titre moins agressif de L’Avenir des femmes, puis reprend son titre initial en 1979 ).

 

Dotée d'une énergie peu commune doublée d'une ingéniosité pleine d'humour, Hubertine Auclert n'en était pas à ses débuts. Ceci expliquant cela, dès la création de sa société "Le Droit des femmes" en 1876 ( qui prendra le nom de "Suffrage des femmes" en 1883 ), elle a multiplié avec une poignée de militantes les conférences, les pétitions en direction des instances officielles, les actions de rue. Par exemple, le 14 juillet 1877 elles ont défilé derrière une éloquente bannière bleue endeuillée de crêpe !

Mais ni les rires ni les railleries imbéciles soulevés au passage, pas même "Le Figaro" qui demande si après les femmes, les boeufs voteront, non, rien ne l'arrête !

 

Invitée au Congrès ouvrier socialiste de Marseille en 1879 ( du 23 au 31 octobre ), Hubertine y prononça un discours sur l'égalité des sexes. Nommée rapporteur de la commission sur la question de la femme, elle parvint à faire adopter par le Congrès le principe du droit politique des femmes.

Enfonçant le clou, le Parti socialiste fut donc, grâce à elle, le premier à inscrire dans son programme: « égalité civile et politique de la femme » ( art. 5 ).

 

Femmes 53%, coeur battant... photo Francine Gilbert

                          Photo d' après Francine Gilbert et  Anne Juhel - Orlac'h.

 

L'année suivante, en 1880, se plaçant à dessein dans l'illégalité, Hubertine Auclert inaugure une fracassante forme d'action... de désobéissance civile avant la lettre, c'est le cas de le dire, par une lettre justement, qu'elle a écrite au préfet pour refuser fermement... de payer ses impôts. Sa lettre, reprise et diffusée par tous les journaux expose ainsi, sans ambages :

 

«  Monsieur le Préfet ,

 

[...] Je n'admets pas cette exclusion en masse de femmes, qui n'ont été privées de leurs droits civiques par aucun jugement. En conséquence, je laisse aux hommes qui s'arrogent le privilège de gouverner, d'ordonner, de s'attribuer les budgets, le privilège de payer les impôts qu'ils votent et répartissent à leur gré.

Puisque je n'ai pas le droit de contrôler l'emploi de mon argent, je ne veux plus en donner. Je ne veux pas être, par ma complaisance, complice de la vaste exploitation que l'autocratie masculine se croit le droit d'exercer à l'égard des femmes.

Je n'ai pas de droits, donc je n'ai pas de charges, je ne vote pas, je ne paye pas. »

 

Elle gagna non seulement les faveurs de la presse unanime et partant, celles de l'opinion publique mais rallia même à sa cause d'illustres misogynes et autres réfractaires notoires, tel Alexandre Dumas fils.

Pourtant, sur la vingtaine de femmes qui s'étaient associées à son geste, il n'en resta que deux à résister aux pressions. Alors, habilement Hubertine demanda la réunion du Conseil de la Préfecture pour justifier sa démarche. L'affaire fut ensuite naturellement portée devant le Conseil d'Etat et comme elle s'y attendait, Hubertine Auclert fut condamnée par l'arrêt du 31 mars 1881, qui consacrait de la sorte, logiquement, la double définition du mot citoyen .

Fine stratège, elle avait fondé  le 13 du mois précédent, son propre journal "La Citoyenne". D'abord hebdomadaire puis mensuel, le sous-titre mentionnait : " Est citoyenne - d'après Littré - la femme qui jouit du droit de cité dans un Etat."

 

Pendant plus de dix ans, grâce à ses indéniables talents journalistiques, reconnus mêmes par ses adversaires, Hubertine réussit le tour de force de faire vivre " La Citoyenne " dont la devise proclame fièrement : " Oser, Résister ". Elle reçoit également l'appui des députés républicains et ses articles sont souvent reproduits par les grands quotidiens.

Car pour oser, elle ose Hubertine Auclert ! Persuadée que les droits politiques sont « l'axe de la question féministe » et donc outre, sa constante revendication centrale du droit de suffrage, elle réclame un service civique obligatoire pour les femmes (afin de déjouer l'argument du droit de vote fondé par le service militaire).

Elle défend passionnément et en toutes circonstances la condition sociale des femmes, leurs revendications salariales « à travail égal, salaire égal » et fait âprement campagne pour le divorce.

En 1888, quand Hubertine suit son mari en mission en Algérie, elle envoie régulièrement au journal, que dirige alors sa collaboratrice Maria Martin, des reportages détaillés sur la vie des femmes algériennes.

Mais, dans tous les numéros de la première publication des suffragettes, elle affirme sans désemparer qu' avec « un bulletin de vote », « la femme citoyenne se relèvera promptement de sa fâcheuse situation économique, l'Etat et la législation ne l'infériorisant plus, toutes les professions lui seront accessibles, et quel que soit son travail, elle ne le verra plus déprécié sous ce prétexte ridicule qu'il émane d'une femme ».

 

Parité; le compte n'y est pas

        Dernières données connues.

 

Hubertine Auclert ne manqua pas d'imagination pour la propagande de ses idées.

 

Très vite,  sa société Le Suffrage des femmes, installa une permanence dans un magasin parisien. Une abondante documentation y était réunie et les femmes y venaient pour lire et discuter. Des réunions hebdomadaires y étaient organisées où des personnalités favorables au droit de vote féminin prenaient la parole ( un siècle plus tard naîtra "La Librairie des Femmes" sur un modèle identique, en plein  Mouvement de Libération des Femmes ).

 

Plus fort, chaque samedi, Hubertine  se rendait dans les mairies. Quand le maire avait terminé la célébration d'un mariage, elle prenait la parole. Elle démontrait aux jeunes époux l'injustice des articles que le maire venait de lire, l'infériorité sociale que le code établit et que le suffrage des femmes pourrait réformer. L'entrée dans les mairies lui fut bientôt interdite par le Préfet de la Seine, Ferdinand Hérold ( de nos jours les intrépides, désopilantes, réjouissantes associatives de  La Barbe  s’invitent inopinément mais toujours pertinemment dans toutes les instances de pouvoir indûment saturées de présence masculine pour faire le speech ad hoc ).

 

Infatigable et tenace pionnière suffragiste, Hubertine Auclert avec de plus en plus d'autres partisanes et quelques partisans ( tels Marguerite Durand la patronne du grand quotidien des femmes, créé le 9 décembre 1897, "La Fronde"; le député René Viviani un des chefs du parti socialiste ), ne ménagea ni ses efforts ni ses soutiens dans les tentatives et batailles électorales parallèles, menées en province comme dans la capitale; par exemple à grand renfort d'affichage dans les grandes villes aux périodes des différents scrutins, montrant systématiquement un électeur et une électrice déposant leur bulletin dans l'urne; ou bien par l'émission d'un timbre en 1901 que le sous-secrétaire d'Etat aux Postes et Télégraphes autorisa à coller auprès du timbre légal; ou encore par l' acte collégial et solennel le 29 octobre 1904, consistant à brûler publiquement un Code civil au pied de la colonne Vendôme.

Elle et ses compagnes de lutte pour le vote des femmes ont fait signer à tour de bras des pétitions, qu'elles envoyaient aux députés, aux sénateurs et aux journaux. En1906, elles renouvellent la grève de l'impôt mais en la nuançant; elles demandent à enlever de leurs impôts la charge que représentent les indemnités des députés qu'elles n'ont pas élus!

 

L'Assemblée Nationale,Photo Joel Saget AFP

                         L' Assemblée Nationale, photo Joël Saget / AFP.

 

Enfin  en 1910, cinq ans après la disparition de l'immense Louise Michel, alors qu'elle est dans sa soixante deuxième année et après avoir exactement passé la moitié de son âge à se battre  quotidiennement contre les abus, les préjugés, et l'arbitraire unilatéral des codes et lois de son temps, Hubertine Auclert se présente aux législatives.

Elle n'est pas seule, Marguerite Durand tente aussi l'aventure. Devant le refus de leur candidature elles en appellent à nouveau au Conseil d'Etat ! Le grand meeting suffragiste de la même année vient couronner leur mobilisation. La presse rend compte favorablement des débats et de nombreux députés prennent dorénavant la parole pour défendre les droits politiques des femmes.

Le vent a tourné pour de bon!

Jean Jaurès, en 1914, plaidera dans une vibrante et chaleureuse intervention à la Chambre pour le vote des femmes, tonnant que « c'est l'humanité complète qui doit agir, penser, vivre et l'on a bien tort de redouter que le suffrage des femmes soit une puissance de réaction, quand c'est par leur passivité et leur servitude qu'elles pèsent sur le progrès humain! »

 

Beaucoup plus tard, invité au Congrès de 1934, ironisant sur les sempiternelles tergiversations et autres frilosités toutes masculines, l'écrivain Paul Valéry déclare : « On veut du suffrage universel et on ne veut pas qu'il soit lui même. Tout est là. On consent bien, Mesdames, que vous ayez en équité et en raison, tous les droits de participer à l'action politique. Mais on craint l'inconnu que votre intervention électorale entraînerait; on a peur de déranger des combinaisons bien commodes, disloquer des formations bien éprouvées, ébranler des situations locales ou parlementaires bien assises... Il n'y a pas d'injure plus grave au prestige de ce suffrage universel que de montrer évidemment par des dénis de justice et d'égalité qu'on vous oppose, que son principe même est soumis aux excès de l'intérêt personnel."

 

Nos arrières grand-mères ou bisaïeules ont enfin voté, pour la première fois comme citoyennes à part entière, pour choisir les députés de l’Assemblée générale Constituante, le 21 octobre 1945, où 35 femmes seront élues sur 545 membres.

 

L'Assemblée Nationale, sigle

                         Photo d' après  Anne  Juhel - Orlac'h.

 

Mais voilà que soixante sept ans après, presque rien n’a bougé, et tout particulièrement la sous représentation parlementaire féminine en regard de la masse électorale considérable des femmes ( plus de 53 % ) !

 

Pivot de notre trilogie républicaine depuis 1789, et malgré la longue chaîne des valeureuses féministes ou championnes de l’émancipation toutes catégories, d’ Olympe de Gouges à  Yvette Roudy  ( pour l’heure, unique Ministre aux Droits des Femmes de l’Histoire ), en passant par Flora Tristan, Jeanne Deroin, Julie Daubié, Louise Michel, Hubertine Auclert, Marguerite Durand, Gisèle Halimi, Simone Weil, Christiane Taubira, Ségolène Royal, Bariza Khiari, George Pau-Langevin, en réalité partout l’égalité est hypocritement bafouée, niée, falsifiée.

Les mauvaises habitudes inégalitaires et sexistes ( inconscientes ou non ) ont la vie dure et il n'est jamais inutile de le rappeler!

Surtout dans ces périodes électoralissimes où des édiles, des caciques soudain oublieux de la plus élémentaire exemplarité démocratique qu’ils prônent et clament cependant à tout va depuis des lustres, s’adonnent sans vergogne à tous les contournements, tous les évitements, tous les méfaits accomplis en catimini.  [...]

 

« La politique est le moyen pour des hommes sans principe de diriger des hommes sans mémoire ». Il faut espérer que les oublieux momentanés du grand principe de  justice paritaire  vont se reprendre sauf à mériter cette remarque de Paul Valéry si étrangement d’à propos pour désigner l’actuel président sortant et ses pareils.

Tout près de nous, il y a quelques semaines, Bertrand Delanoë n’a pas dit autre chose en déclarant : « La politique perd le sens de son propre honneur quand elle sacrifie sa fin à ses moyens, c'est à dire quand les responsables publics se révèlent prêts à tout pour gagner les élections » ! 

 

La politique ne se marchande pas.

Non, la politique n’est pas affaire de privilège personnel, d’obligatoire notabilité, ou de charge réservée et encore moins de métier avec rentes à la clef !

Oui, la politique se doit d’être et de rester le premier, l’équitable, l’irréprochable, l’indispensable et donc forcément le plus grand des services publiques !

 

L’égalité primordiale femmes-hommes, la parité à tous les étages, voire et surtout les plus hauts, ceux des sphères de pouvoir, et dans tous les domaines de la vie sociale, éducative, professionnelle, administrative, info-médiatique, économique et politique reste la priorité des priorités en France comme dans bien trop de pays encore de par le monde.

Notre patrie des Droits de l'Humanité se considérant de surcroît comme étant en pointe à ce sujet, du fait de la loi votée voici plus de dix ans, mais appliquée à minima, très superficiellement et artificiellement, y compris même et beaucoup par ses promoteurs socialistes, nous nous devons mutuellement, citoyennement à nous-mêmes… et au monde de bâtir en conscience cette société juste, laïque, solidaire car transversalement participative et réellement démocratique, digne de la France d’avenir gagnante et de sa lumineuse, de son indémodable trilogie républicaine.

 

Vive la Liberté, l’Egalité, la Fraternité au soleil d’un huit mars quotidien !  

 

 

 

Le 10 mars 2012 – par  Anne Féenomen

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